La plupart des gens trouvent que leur emploi est poche. Ce n’est probablement pas ton cas… mais par définition, ou presque, la plupart des postes sont occupés par des gens qui ont peur de manquer d’argent.

Ces personnes font essentiellement leur travail d’un point de vue alimentaire. Ils préfèreraient clairement faire autre chose que ce que l’on leur demande de faire. Ils parlent souvent de leur job et non de leur carrière.

On devrait être en feu à l’idée que des robots fassent le travail que les humains n’aiment pas à notre place. Pourtant, une bonne partie des observateurs admettent qu’un concept comme celui-là est terrifiant. The New Yorker se fait l’écho de cette crainte :

« Les robots s’apprêtent-ils à prendre nos emplois ?

En fait, ils ont commencé à nous voler notre travail il y a très longtemps. […] Les robots remplacent déjà et continueront à remplacer des emplois que des humains aimeraient garder. […] Des robots ou d’autres machines ayant des compétences semblables à celles de l’humain sont également apparus dans le secteur des services. »

L’idée principale de cet article, qui est largement répandue, propose que ce soit une mauvaise nouvelle que la technologie s’accapare les emplois. Brad Delong affirme que « l’humain moyen sera très productif dans le monde des robots du futur, mais ça ne signifie pas que la majorité sera bien payée. » The Register rapporte ceci :

« Arrêtez l’exploitation des robots, hurlent les travailleurs en grève de Foxconn. »

Pendant ce temps, le New York Times écrit à propos du « grand ralentissement des salaires du 21e siècle ».

Il est vrai que des gens ont exprimé des préoccupations similaires il y a cinquante ans, il y a cent ans, et ils avaient tort de craindre l’innovation. Pourquoi est-ce différent cette fois-ci ?

La loi de Moore explique la distinction profonde entre cette époque et le monde d’aujourd’hui. Elle peut être résumée ainsi : depuis cinquante ans, nous sommes entrés dans une ère de croissance exponentielle non maîtrisée. Le monde n’a jamais changé aussi rapidement auparavant.

Mais même si la loi de Moore n’avait plus lieu d’être demain matin, la majorité de ses effets commence tout juste à se propager du secteur des technologies au reste de l’économie.

Mais pourquoi voulons-nous croire que ces inquiétudes sur le fait que l’avancement technologique nous vole des emplois ne soient pas fondées ? Si la technologie détruit un grand nombre de mauvais emplois en étant plus productive que les personnes et qu’elle crée également un plus petit nombre de bons emplois, n’est-ce pas un net avantage qui permet d’améliorer à la fois la productivité économique et le bonheur des humains ?

Pourquoi est-ce si catastrophique que les anciens emplois, mauvais, soient plus nombreux que les nouveaux emplois, meilleurs ?

La réponse réside dans le fait que nos économies et nos sociétés ne sont pas conçues pour un monde qui ressemblerait à l’Extrêm-Istan », dans lequel la production économique est très faiblement reliée au nombre d’emplois. On n’a qu’à penser aux 55 employés de Whatsapp et à l’évaluation de l’entreprise à 19 milliards de dollars comme un extrême illustrant ce phénomène. The Economist, dans un reportage spécial sur les perspectives selon lesquelles la technologie détruirait les emplois plus rapidement qu’elle n’en créerait, décrit ce phénomène ainsi : « la richesse sans travailleurs; les travailleurs sans richesse ».

Pendant ce temps, « la part de l’emploi dans des postes à salaire moyen a décliné, alors que l’emploi dans des postes à salaire élevé et à salaire faible a augmenté », selon le Center for Economic Policy Research. Un futur potentiel se dessine : d’abord, le marché de l’emploi se polarise entre des revenus très élevés et des revenus très faibles. C’est l’effet direct des robots qui accaparent de plus en plus d’emplois à faible revenu.

la part de l’emploi dans des postes à salaire moyen a décliné, alors que l’emploi dans des postes à salaire élevé et à salaire faible a augmenté

Imaginons quel serait l’effet d’avoir en circulation des véhicules qui se déplacent sans conducteur remplaçants les 3+ millions d’emplois de chauffeurs de camions aux États-Unis seulement.

Toujours dans ce même scénario hypothétique, ces 3+ millions d’emplois seraient remplacés en créant 1.5 million d’emplois meilleurs qui permettent de gagner le double du salaire. Je ne parle même pas du fait que la conduite de poids lourds est l’un des emplois les plus durs sur la santé et probablement un emploi que peu de gens aiment faire.

Comment avons-nous pu nous convaincre aussi assidument que ce phénomène devrait être considéré comme une mauvaise chose ? Pourquoi avons-nous une si grande peur d’un futur qui s’enorgueillit à la fois d’une plus grande production économique et d’un plus grand nombre de personnes qui ont la liberté d’utiliser leur temps et leurs efforts comme ils en ont envie ?

Un monde où plus de rendement venant de moins d’emplois ne devrait-il pas nous paraître excessivement désirable ? Posons la question autrement : pourquoi serait-il toujours aussi important de maintenir le plein emploi dans un monde qui déborde de richesses produites par des machines et qui sont à la disposition de tout le monde ? Mais comment croyons-nous que nous arriverons à ce monde, si ce n’est par le biais des technologies qui remplacent le travail des humains ?

Le retour du balancier

Peut-être que le problème réel n’a rien à voir avec le fait que des robots pourraient remplacer des camionneurs. Le problème vient plutôt du fait que pratiquement aucun avantage économique qui résulterait de ce phénomène n’irait aux camionneurs qui viendraient de perdre leur emploi. Une meilleure question à se poser devrait peut-être être la suivante : Pourquoi les nouvelles technologies sont-elles le plus souvent au service des plus puissants et que tout le reste du monde en profite de façon accessoire ?

Un extrait de cet article du MIT Technology Review sur la technologie et les inégalités, relève que :

« La colère qui s’empare du nord de la Californie et de tout le reste des États-Unis tire sa source d’une réalité de plus en plus évidente. Les riches deviennent plus riches pendant que bien des gens continuent d’avoir des problèmes d’argent.

Il est de plus en plus difficile de ne pas se demander si, en plus d’être le parfait exemple des inégalités croissantes, la Silicon Valley ne contribuerait pas aussi à les créer. […] En gros, plus l’automatisation des tâches quotidiennes devient perfectionnée, plus les gens qui en profitent sont ceux qui ont une expertise et une créativité assez développées pour utiliser ces avancées. Et ça entraîne l’inégalité des revenus :

la demande pour des travailleurs très qualifiés devient plus importante, alors que les travailleurs moins éduqués et moins spécialisés diminuent. […]

Bien sûr, poser ce constat ne permet pas d’y trouver une solution, loin de là, et en appeler à l’amélioration de l’accès à l’éducation serait bien simpliste – qui pourrait dire le contraire ? ».

Si les prévisions s’avèrent justes sur ce qui nous attend, la technologie détruira les mauvais emplois traditionnels plus rapidement qu’elle ne créera de nouveaux bons emplois. Ceci devrait être une bonne chose et même une raison de célébrer.

Malheureusement, tout n’est pas aussi rose, parce que nos gouvernements réagissent trop lentement pour arriver à suivre la technologie. Cependant, les bouleversements et la pauvreté causés par le chômage technologique seront seulement les symptômes, et non le problème en soi. Ce sera vain de tenter de réagir à ce phénomène en technophobes bornés ou en partisans aveugles d’une meilleure éducation.

La source du problème est plus élémentaire.

Notre économie, dans sa structure actuelle capitaliste, exige qu’au moins une personne par ménage occupe un emploi ou soit indépendante de fortune.

Elle continuera à contraindre ainsi la majorité de la société même lorsque la technologie rendra cette exigence fondamentalement absurde. C’est un problème qui nécessite des solutions beaucoup plus radicales comme le propose Steve Randy Waldman dans cet essai. Plutôt que de blâmer les technologies pour les symptômes, on devrait blâmer les gouvernements pour leur incapacité à en enrayer les causes.

À l’heure où j’écris ces lignes, voici les statistiques du Québec en lien avec la baisse de l’emploi et hausse du taux de chômage en octobre 2014. Lorsque les machines et les logiciels sont en compétitions directes avec les humains, la sociale démocratie devient une façon logique de partager l’iniquité et le nombre d’emplois qui diminue.

Cet article est une adaptation de ce texte de Jon Evans.


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