Ce que j'écris, c'est de moi à toi. Je sais, on n’est pas habitué d'être tutoyé en tant que lecteur. Crois-moi Lekt, ce n’est pas de la lâcheté, mais plutôt de l’humanisme. Simplement un humain qui s’adresse à un autre. C’est Pascal qui s’adresse à toi à travers ce dialecte qu’est la langue française. Que l’on se connaisse ou non, ne change rien à mon avis.

Si je ne me trompe pas, tu brûles d’envie que quelqu’un te parle, directement à toi, sans bullshit et sans cette galanterie cheap qu’offre l’option impersonnelle de vouvoyer les autres.

C’est ce que m’a fait réaliser David Desjardins il y a longtemps dans son billet intitulé Un homme heureux. Même si je n’ai pas d’enfant, je résonnais avec lui à chacune des phrases qu’il partageait avec moi, son lecteur. Dès la première ligne « Ça te pogne de même, sans avertir. », j'ai senti que David voulait partager quelque chose avec moi.

Mon intention profonde est de connecter avec toi, d’écrire des textes qui te donnent le goût de lire la prochaine phrase pour qu’au final, tu aies appris quelque chose durant ta propre quête.

Crois-moi Lekt, ce n’est pas de la lâcheté, mais plutôt de l’humanisme. Simplement un humain qui s’adresse à un autre.

C’est un des grands dilemmes de la langue française. Nous voulons tous être plus connectés aux autres, être plus près de la vérité, de paroles authentiques et loin des apparences, loin de propos génériques. Pourtant, on place de belles clôtures d’ivoire à tous les « vous » que l’on prononce, à tous les « vous » que l’on accepte des autres.

Nous préférons la matière première, le brut et l'imparfait à ce qui est poli et sans failles. C'est bien pour cette raison que nous apprécions entendre des performances musicales en direct même si elles sonnent moins bien qu'en studio.

Je préfère de loin la personne devant moi, qu'au rôle qu’elle joue dans la société. C’est bien pour cette raison que nous aimons les “entrevues de fond” et les biographies: pour connaître qui se cache sous le personnage que nous jouons dans notre vie public et professionnelle.

En fait, on ne vit pas dans le monde, on vit dans son monde. Nous vivons parmi 7 milliards de mondes sur un grand terrain de camping que l’on surnomme la Terre. Un total de 7 milliards de toi et zéro de « vous » en fait.

Tout le monde déteste les instructions de BBQ

Lekt, pour moi, écrire un texte à la deuxième personne du pluriel, ça se résume à écrire des instructions pour le montage d'un BBQ. En gros, si je devais faire la pénible job d'écrire des manuels, je prendrais pour acquis que:

  1. Je n'ai aucune idée à qui je m'adresse.
  2. La personne qui lit les instructions n'a aucune idée de qui je suis non plus.
  3. Que les deux partis se foutent de qui est l'autre parti.

Le pire est que si ces deux personnes se croisent à une réunion de parents, ils ne sauront jamais qu'ils ont eu une communication auparavant. Je dois l'admettre, le vous est bien pour ça; les deux camps peuvent se foutrent de qui est l'autre.

Bon… encore là, me connaissant, je ferais pression pour que les instructions soient agréables à lire et captivantes. J'écrirais probablement des passages comme celui-ci:

[...) passons les étapes de sécurité pour les nuls.

  • Lekt, il faut que tu sois ultra attentif ici. Je te dis ça parce que je te considère comme un chum.

  • 9.4 L'ALLUMEUR, tu ne niaises pas avec ça sérieux… Même s'il est difficile à enlever de son plastique... respire par le nez. C'est super fragile ce petit truc-là. C'est pas le temps non plus d'aller sur Facebook pendant que t'installes cette pièce.

  • Si jamais tu fais une erreur à ce point-ci, tu ne seras pas content parce qu’il va falloir que tu démanches tout ce que tu as fait... que tu remettes toutes les pièces dans la boîte... et que tu rembales tout ton bordel au magasin [...]. Suis-je clair?

  • 9.5 Je répète: DON'T DROP THE BALL LEKT! C'est fra-fra, fra-quoi? Fragile!! C'est pas le temps de jobbé man [...] Prêt? OK, maintenant, insères délicatement l'allumeur dans le collimateur du rond principale. [...]

Ça serait peut-être un peu plus long à lire, mais au moins tout le monde aurait du fun à monter son BBQ right ? En plus, la personne qui rédige les instructions pourrait enfin aimer son métier. Elle aurait même un porte-folio intéressant à montrer pour joindre l'équipe de rédacteur pour l'émission South Park ou Les Simpsons.

Bye bye « vous »

Si je reviens aux choses sérieuses, le pronom vous m'agace depuis longtemps. Il m’agace lorsque je l’écris ou bien lorsque je le lis à travers un texte qui est censé m'être adressé. J’ai un problème avec le:

  • Vous qui hiérarchise les rapports
  • Vous qui subordonne les propos
  • Vous qui ne concerne personne
  • Vous impersonnel
  • Vous qui démontre un respect disproportionné de l’autre
  • Vous faisant la cour aux femmes au théâtre
  • Vous maniéré qui cache ce que nous ressentons, qui aseptise le propos
  • Vous qui m’éloigne de toi, le lecteur de ce texte

À partir d’aujourd’hui, je tue le « Vous » de mon vocabulaire. Au risque d’en irriter quelques-uns, je vais écrire seulement pour toi Lekt, le lecteur de mes textes. Alors bye-bye boss, au revoir cher jury d’un concours de bons principes.

Le « Vous » me purge royalement quand je le lis. Je déteste naviguer sur les pages web du gouvernement. Rien de surprenant: ces pages sont si déconnectées de moi, si loin de ma réalité que le but de ma visite devient vite celui-ci: sacrer mon camp au plus vite avec l’information que je cherche, puis fermer ce paquet de mots qui ne me concernent pas.

Je reconnais que le « vous » a bien sa place dans une occasion précise: lorsque qu’on s’adresse à un groupe de personnes dans la même pièce. Je ne vois pas pourquoi le sujet de mes phrases devrait être ” vous ” en d’autres circonstances.

Alex dans Flashdance

Lekt, te souviens-tu de cette scène tirée du film Flashdance où Alex se présente devant des juges d’une école de danse classique. Ben oui… c’est la scène finale avec la grosse toune « What a feeling ».

Un des aspects les plus puissants de cette scène, c’est de voir les barrières psychologiques et très précisément les paradigmes élitistes de la danse classique tomber sous nos yeux. C’est frappant.

Voici ma définition d'un paradigme en 90 secondes.

Plusieurs ont vécu une transformation similaire lorsque Susan Boyle s’est présentée à son audition. Nous nous sommes tous dit: « mais qu’est que c’est que cette (souviens-toi de ta réaction…) fait icitte!?! Go home!!! »

La chanson a débuté et nous avons tous ravalés nos jugements et mis nos attitudes condescendantes aux poubelles le temps d’une performance mémorable.

Ce sont pour toutes ces raisons que j'aime vous tutoyer.


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